Brèves

 

LA CAPITULATION ALLEMANDE - 8 MAI 1945

Monsieur Marcel AMATRUDA est né en 1922 à Bône en Algérie. Ingénieur des Travaux Agricoles.

Il est mobilisé en novembre 1942, lors du débarquement des alliés en Afrique du nord. Il participe à la campagne d’Italie, puis au débarquement de Provence où il est gravement blessé (pensionné à 70%).

Après une activité au profit du ministère de l’agriculture en Algérie, en Martinique et dans le Lot, il prend sa retraite en 1982. Il se donne alors pleinement à la vie associative aussi bien civile  que celle des anciens combattants.

Son dynamisme, son courage et son efficacité dans ses diverses responsabilités ont été reconnus par de nombreuses distinctions et décorations :

-          Commandeur du Mérite agricole.

-          Officier de l’Ordre national du Mérite.

-          Croix de guerre 1939 – 1945.

-          Médaille militaire.

-          Chevallier de la Légion d’Honneur.

Il est l’auteur d’articles relatant des actions militaires du dernier conflit mondial, auxquelles il a pris part, en particulier :

-          Souvenirs du Corps expéditionnaire français en Italie, mai 1944.

-          Débarquement de Provence, 15 août 1944.

              A l’occasion de l’assemblée générale de la SEMLH du Tarn-et-Garonne, le 5 avril 2008, Monsieur AMATRUDA, membre du Comité départemental, nous a exposé la capitulation allemande, le 8 mai 1945, que nous reproduisons ci-après.

L’acte de capitulation du Reich Allemand a été signé dans l’Ecole des ingénieurs de l’Armée allemande à Berlin.

Le 7 Mai 1944, le Général de LATTRE de TASSIGNY, reçoit l'ordre de signer pour la France à Berlin, l'acte de capitulation de l'Allemagne. Il devra emmener avec lui un officier. Il doit s'envoler sur un avion américain, mis à sa disposition sur l'aérodrome de Mengen. C'est une localité allemande située à l'est de Fribourg, au sud d'Ulm et de Stuttgart.

Il va emmener avec lui, non pas un officier, mais deux, il s'agit de Bondoux et de Demetz. Voici donc ce qui s'est passé lors de la signature de cet acte de capitulation, et je résume ici, le compte rendu de cet épisode un tantinet rocambolesque, qui en a été fait, en son temps, par René Bondoux,

Montant à Mengen dans l'avion américain, avec sa petite escorte, le Chef d'équipage Américain de l’avion, explique au Général de LATTRE, qu'il a reçu mission de se mettre à sa disposition pour l'emmener jusqu'à un aérodrome militaire à une centaine de kilomètres de Berlin. C'est là, parait-il, que devront se grouper les avions chargés de transporter les chefs militaires des puissances occidentales qui devront ainsi arriver ensemble à Berlin, vers 11 h 30.

Cependant, l'avion se pose à Tempelhof, prés de Berlin. Le Général DE LATTRE et les deux officiers supérieurs qui l'accompagnent, y sont accueillis par le Général Soviétique Sokolowski, l'adjoint du Général Joukov, il est accompagné de quelques officiers Russes.

Après les saluts d'usage et les présentations, un dialogue s'engage :

Le Général de LATTRE, interroge :

-        Les chefs Américains et Anglais sont-ils arrivés ?

-        Oui

-        Pour où sont-ils partis ?

-        Je ne sais pas mon Général.

-        Où et à quelle heure doit se signer l'Armistice ?

-        Je ne sais pas mon Général.

-    Mais je viens à Berlin pour signer, vous m'attendez à l'aérodrome, vous devez donc savoir où je dois me rendre ?

-    Oui, mon Général, les voitures sont là, réservées pour vous et vos officiers, elles vous conduiront dans un petit village des environs de KARLSHORST, où vous êtes attendus.

Les officiers Soviétiques, qui ont accompagnés le Général De LATTRE et son escorte, depuis l'aérodrome, les conduisent dans une petite pièce, qui semble leur avoir été réservée. Leur mission est terminée et aucune explication ne peut plus être obtenue. Le Général et les deux officiers qui l'accompagnent, restent dans cette petite pièce d'une villa complètement occupée par les soldats Soviétiques et ceux-ci évidemment ne parlent pas un mot de Français.

Nulle trace d'autres officiers Anglais ou Américains, aucune indication du lieu où doit se tenir la conférence. Qu'est ce que-tout cela peut bien signifier ?

Ce n'est que plus tard qu'un entretien rapide a lieu, entre le Maréchal TEDDER et le Général de Lattre. Le Maréchal Anglais est sanglé dans son uniforme bleu ardoise de la R.A.F ; il possède une distinction et une finesse qui n'émoussent cependant pas une spontanéité qui lui gagne immédiatement la sympathie du Général de LATTRE de TASSIGNY. Le visage est éclairé d'un regard souvent malicieux, mais le teint est bistre et révèle une grande fatigue. L'homme est affable, mais las et harassé.

Il est 14 heures environ, le Maréchal explique au Général que depuis son arrivée, il n'a pu obtenir aucune précision sur l'heure exacte de la signature. Il a vu le Maréchal Joukov, mais le texte de l'acte de capitulation n'est, paraît-il, pas au point. La délégation Allemande sous les ordres du Maréchal KEITEL est arrivée et se trouve sous garde soviétique, dans une petite villa. Tout pourrait être prêt, mais il se passe quelque chose d'inexplicable, et il est impossible d'obtenir des Russes des précisions.

Le Général de LATTRE interroge alors le Maréchal TEDDER, sur le protocole que celui-ci envisage pour la séance à venir. Et tout de suite le drame éclate. Le Maréchal TEDDER expose en effet au Général DE LATTRE, que la cérémonie sera sans doute rapide et sans formalités particulières : Lecture de l'acte de reddition, puis signature par le Maréchal JOUKOV, pour le commandement des troupes du front de l'Est, par le Maréchal TEDDER représentant le Général EISENHOWER pour le commandement des troupes du front de l’Ouest, puis par KEITEL au nom de la puissance et des armées vaincues.

-    Et la France ? Questionne le Général de LATTRE, dont le visage exprime une grande contrariété.

-    - Ce ne sont pas les Nations qui signent, répond TEDDER, mais les Commandants des Armées Alliées, celles de l'Est et celles de l'Ouest. Ni la Grande Bretagne, ni l'Amérique; ni la France, ne signeront en tant que Nations. Signant au nom d'EISENHOWER, je signerai pour les Armées Occidentales.

-    Mais, Monsieur le Maréchal, répond alors le Général de LATTRE, ceci est invraisemblable ; ce matin à l'aube, j'ai reçu un télégramme du Général de GAULLE, me donnant mission de signer pour la France. Je suis venu pour cela au nom de mon pays, qui a enduré assez de souffrances pour la cause commune, au nom de mon Armée, qui a donné son sang pour la victoire, je ne puis admettre d'être au jour de cette victoire, le spectateur que vous prévoyez. La France mérite une autre part, et si je ne signe pas, un jour, l'Allemagne contestera à la France, quelle a été victorieuse.

 C'est alors que le Maréchal TEDDER et le Général SPAATZ, chef de la délégation américaine objectent que seule alors, l'Amérique n'aurait pas de représentant signant pour elle. JOUKOV interrompe alors les deux Officiers d'un geste, et leur dit :

 « Et bien l'Acte sera signé par nous quatre, ainsi sera affirmée notre victoire commune».

Une grande animation règne dans les couloirs et les salles annexes du grand bâtiment où doit avoir lieu la signature de l'acte de capitulation de l'Allemagne. C'est l'École des Ingénieurs de l'Armée allemande, près du centre de Berlin. Rien n'est encore prêt et la nuit commence à tomber. Un vent maussade et froid s'est levé et s'engouffre dans les couloirs, par les portes qui s'ouvrent à chaque instant. L'obscurité gagne les pièces où les groupes se forment, il n'y a pas de lumière électrique. Toutefois, il est prévu parait-il, pour la cérémonie, que des groupes électrogènes seront mis en fonctionnement. Mais pour l'instant tout le monde s'éclaire à la bougie, à la lueur desquelles, des dactylos s'installent sur des petites tables, pour taper en Russe en Anglais et en Allemand, le texte de la reddition inconditionnelle. Il faut, paraît-il, le frapper en 18 exemplaires en chaque langue. Des officiers tiennent des bougies à la main, et donnent ainsi de la lumière aux dactylos qui s'appliquent. L’Intendance fait apporter des canettes de bière et des verres. Une fois de plus, le Général de LATTRE et ses deux officiers doivent prendre leur mal en patience.

Vers 20 heures, les textes sont frappés et l'on s'attend à voir arriver le Maréchal JOUKOV. Mais un officier s'approche du Maréchal TEDDER et lui dit quelques mots à l'oreille. Ce dernier passe alors auprès du Général de LATTRE et lui dit en souriant :

«Vous me donnez du souci, rien ne va plus, JOUKOV me demande ».

Le Général de LATTRE lui répond :

«Monsieur le Maréchal, n'oubliez pas ce que je vous ai dit, je ne rentrerai pas en France sans avoir signé, je mériterais d'être guillotiné. Pensez à moi. ».

 « Je ne vous oublierai pas »  réplique en souriant le Maréchal TEDDER qui s'éclipse.

Que s'est-il passé ...

De Moscou est arrivé par avion Mr VYCHINSKI, et c'est probablement lui que l'on attendait depuis midi. Mais avec Monsieur VYCHINSKI sont arrivées les préoccupations politiques. « Que la France signe, aurait-il dit, fort bien, car on peut admettre que la France envahie depuis quatre ans par les Allemands, ait au lendemain de la libération, besoin de consolider sa revanche par une signature indépendante de celle du représentant des armées de l'Ouest ».

Mais pourquoi l'Amérique signerait-elle, puisque le Maréchal TEDDER vient signer ici, au nom du Général EISENHOWER ; comment les Etats-Unis seraient il mieux représentés que par cette signature ?

La discussion dura longtemps, il y eut de vifs colloques et plusieurs interventions du Général DE LATTRE. Finalement, les officiers Russes, apportent de nouveaux textes d'accords à la frappe. Sur ceux-ci, TEDDER et JOUKOV signeront comme « parties », et de LATTRE et SPAATZ comme « témoins ».

Voici de nouveau les dactylos qui se mettent au travail à la lueur des chandelles. Enfin tout est prêt. Il est 23 heures 30. Une dernière fois, de LATTRE, TEDDER et SPAATZ disparaissent, ils vont cette fois chercher JOUKOV et VYCHINSKI pour la signature. Les groupes électrogènes sont mis en route, et d'un seul coup les lumières électriques s'allument. Dehors, les troupes se sont massées. En silence, arrive une longue voiture sombre, tandis que les troupes présentent les armes, les quatre chefs militaires et VYCHINSKI font leur entrée, accompagnés de nombreux officiers Soviétiques. JOUKOV et les officiers de sa suite, sont en grande tenue, portant toutes leurs décorations et leurs épaulettes d'or.

Les portes de la salle de conférence s'ouvrent, c'est maintenant un paradis de lumière, les projecteurs et les sunlights donnent aux lieux l'aspect d'un studio où l'on va tourner une scène à grand spectacle. Il est minuit, le brouhaha s'est apaisé et d'un coup la salle devient silencieuse. JOUKOV fait un signe de sa main droite. Les portes s'ouvrent à double battant. Le Maréchal KEITEL, en grande tenue, col à parements rouges, fait son entrée. A un mètre derrière lui, l'Amiral FREUDENBURG, commandant la Kriegsmarine et le Général SPUNTZ, commandant la Luftwaffe, plus en retrait, six officiers, marins et aviateurs.

D'un pas rapide, KEITEL gagne la table réservée aux Allemands, puis se fige en claquant ses talons. D'un geste théâtral, il salue de son bâton de maréchal et fixe JOUKOV. Les deux hommes, un court instant, regard dans regard, se fixent immobiles. KEITEL, visiblement attend que JOUKOV et l'assistance en se levant, lui rendent son salut. Tous les yeux se portent sur JOUKOV qui reste impassible. Dans le silence que seuls rompent les déclics des appareils photographiques et le bruissement des caméras, personne ne fait un geste. Alors, le visage empourpré de colère contenue, KEITEL abaisse son bras et laisse tomber sur la table, son bâton de maréchal. Il vient seulement de comprendre, qu'il est un vaincu auquel les honneurs ne lui sont pas rendus.

KEITEL s'assied avec à sa droite, le Général d’aviation SPUNTZ, à sa gauche l'Amiral FREUDENBURG qui prennent place. Derrière ces trois chefs, et en toile de fond, les six officiers Allemands.

Cette fois, c'est JOUKOV qui se lève et qui s'adresse en russe à KEITEL, deux interprètes, traduisent immédiatement en anglais et en allemand. Nous reproduisons ici les phrases exactes de cet entretien.

-                       Possédez-vous les pouvoirs nécessaires, pour signer au nom de l'Allemagne, l'acte de reddition ?

JOUKOV debout, scrute le visage de KEITE ; à son tour, celui-ci relève le défi de l’insolence, il demeurera assis pour répondre aux questions qui lui seront posées :

-             Oui.

-             Connaissez –vous les termes de l'acte de reddition inconditionnelle ?

-             Oui.

-             Avez-vous des observations particulières à présenter au sujet de cet acte ?

-             Non.

-             Êtes-vous prêt à signer ?

-             Oui.

Si les traductions simultanées n'alourdissaient pas le rythme des questions et des réponses, le ton serait cinglant et l'échange rapide. C'est alors que KEITEL se lève, prend sa casquette ses gants et son bâton de maréchal, et se dirige vers la place demeurée vide, au bout de la table présidée par JOUKOV. Il maugréait à mi-voix, et passant derrière FREUDENBURG, prononce d'une voix forte, voulant être entendu de tous :

«A côté d'un Français, c'est un comble !»

Il est 0 h 20, au moment où KEITEL appose sa signature sur le premier exemplaire de l'acte de reddition. Mais la cérémonie n'est pas encore terminée. KEITEL doit en effet signer successivement tous les exemplaires de l'acte tapé en trois langues. Lorsque qu'il a terminé, FREUDENBURG et aussi SPUNTZ lui succèdent, tandis que chacun des quatre chefs alliés doit à son tour, apposer sa signature. Un officier Anglais et deux officiers Russes, portent à l'un et à l'autre les exemplaires à signer.

Pendant cette scène muette qui durera près d'un quart d'heure, les cinéastes s'en donnent à cœur joie, les uns perchés sur une échelle, cherchant des angles saisissants, les autres filmant de gros plans, à proximité immédiate des grands acteurs du drame. KEITEL manifestement, rumine une colère qui le secoue de tremblements, mais il fait face, avec morgue et hauteur. Ses yeux jettent des éclairs et expriment une haine méprisante. SPUNTZ a le regard vide. Il ne semble pas très bien comprendre ce qui lui arrive. Il semble être l'image même de l'inconscience. Tandis que FREUDENBURG est en proie à une grande tristesse, cet homme lutte à grand peine, contre le désespoir qui a marqué son visage de rides et de cernes.

Mais le spectacle le plus dramatique est celui que donnent les officiers qui les accompagnent. L'armée allemande a voulu mourir en beauté Ce sont des gaillards magnifiques, qu'elle a choisie, pour être les témoins de son acte de décès. Ils sont là sanglés dans leurs tenues irréprochables, couverts de décorations, attestant leurs actions héroïques. Croix de fer, avec glaives et diamants. Mais ces hommes sont jeunes, ils vivent leur drame, désespérés de leur impuissance. Certains se mordent les lèvres jusqu'au sang, leurs mâchoires sont contractées, Manifestement ils se dominent pour refuser à leurs ennemis, la satisfaction de les voir sangloter.

FREUDENBURG à son tour, a fini de signer. Une fois encore la vois de JOUKOV s'élève :

-  Avez-vous une observation à adresser sur l'exécution de l'acte que vous venez de signer ?

-  Oui, répond KEITEL hargneux, je viens de signer que l'acte prendrait effet, le 8 Mai à 0 heure. Il est près de I heure, il m'est impossible de faire assurer la transmission de la reddition et l'ordre de cesser le feu en temps utile. Je demande donc que Pacte ne prenne effet que dans un délai de 24 heures.

JOUKOV, d'un coup d'œil consulte TEDDER, SPAATZ et DE LATTRE : «Haussements d'épaules »

-                            Objection et demande rejetées.

C’est tout, KEITEL, SPUNTZ et FREUDENBURG se lèvent. D'un rapide salut de son bâton de maréchal, KEITEL prend congé. Les portent s'ouvrent, la délégation Allemande disparaît.

LA GUERRE EST FINIE.