La vie dans un régiment pendant la guerre d'Algérie (1955-1961)

par le général CHAZARAIN, membre titulaire

 

 

Le 19 mars 2012 est le 50ème anniversaire des accords d'Evian et du cessez-le-feu en Algérie qui ont une grande importance pour notre pays.

 Beaucoup de choses ont été écrites, souvent de façon partiale, et le seront sans doute encore.

Ces accords ont été le terme de cent trente ans de présence de la France avec la fin de la guerre d’Algérie. Ils ont soulagé ou réjoui beaucoup de personnes dans notre pays, mais ils ont été également marqués par des faits souvent tragiques.

La vie dans un régiment de réserve générale, fut une série de combats souvent très violents, avec des pertes sévères, heureusement coupée par des moments de détente. Le 2ème Régiment Étranger de Parachutistes (2ème REP) fut un de ces régiments.

C'est sa vie, en tant que Lieutenant, que  le général CHAZARAIN, a racontée, avec ses joies et ses peines lors de la conférence de l'académie de Montauban du 5 mars 2012 dont nous vous rapportons quelques extraits.

                      " Un million de nos compatriotes ont dû quitter le sol qui les avait vu naître et où ils avaient travaillé pour sa prospérité. Ils n’étaient pas certains de la qualité de l’accueil qu’ils allaient recevoir dans l’hexagone et nombre d’entre eux furent victimes de massacres avant d’avoir accès à l’embarquement salvateur.

                        Des Algériens qui avaient cru à la parole de la France et s’étaient engagés à nos cotés, les supplétifs ou harkis en particulier, furent tués par milliers, souvent de manière atroce.

                        Un malaise important et long, qui avait pris naissance en avril 1961 existera dans l’armée Française.

                        Le cinquantième anniversaire sera célébré avec beaucoup de faste par certaines associations d’anciens combattants alors que d’autres ne veulent pas reconnaître cette date pour saluer la mémoire des morts de la guerre ; Une date officielle, le 5 décembre a d’ailleurs été retenue par décret il y a quelques années.

                        J’ose dire que je ne suis partisan d’aucune de ces dates car faire un choix équivaut à maintenir les causes d’affrontements, or j’ai la profonde conviction que l’hommage rendu à la mémoire des morts ne peut s’accompagner des querelles des vivants. C’est faillir au respect qui leur est dû.

                        Il me semble en outre que le culte du souvenir et la reconnaissance envers ceux qui ont donné leur vie pour la patrie mériterait de ne pas se circonscrire aux seuls combattants d’Afrique du nord. Sans remonter très loin dans le temps, il me paraît possible d’attirer l’attention sur les morts oubliés, on pourrait presque dire « les morts en fraude » pour reprendre le titre d’un roman déjà ancien de Jean HOUGRON, et ils sont très nombreux. Nous pouvons citer ceux du Liban, de la Côte d’Ivoire, du Congo, de la République Centre Africaine, de l’ex Yougoslavie, de l’Afghanistan. Ma liste est loin d’être complète. C’est la raison pour laquelle j’adhère à l’institution d’une « journée du souvenir » comme cela existe dans de nombreux pays. Le 11 novembre qui demeure important dans la mémoire collective et le restera, quand les combattants des derniers conflits auront disparu, me semble une bonne date. Cela n’empêche pas, bien entendu, chaque association de commémorer telle ou telle date à titre officieux."

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                       Après  ce préambule, le Général , avec sa fougue et son dynamisme de lieutenant, apporta son témoignage  de sa présence au sein du 2iéme Régiment Étranger Parachutiste (2° REP) pendant près de 6 ans (1955-1961), sans interruption. Il prit, au départ, la précaution de rappeler une phrase de jean TULARD : " La mémoire est fragile, vulnérable et subjective".

 

                     Il débuta donc par la création du 2° REP en novembre 1955 à TEBESSA, où il confirmera l'adage selon lequel " l'Algérie est un pays froid où le soleil est chaud" et la transformation de cette jeune unité en une redoutable machine,  se forgeant une âme au cours de combats très durs dans les Némenchas. Nombreux succès mais au prix de pertes sévères.

                    Le régiment devient "unité de réserve générale" fin 1956, et par suite, participe à toutes les grandes opérations, souvent sans grand préavis, même au cours d'une période de repos ou d'une fête du régiment. Tébessa - le massif des Aurès - El Milhia - le massif de Colo - Philippeville, camp Péhau.

Le rythme opérationnel est soutenu, les équipements sont peu adaptés au froid et à la chaleur.

                    Le 2ième REP, en opération, n'a qu'une action marginale dans le "Putsch du 22 avril". Il n'est donc pas dissous. Les officiers feront l'objet d'une sanction disciplinaire.

Le nouveau chef de corps, le colonel CHENEL, légionnaire chevronné, rigoureux mais juste et ouvert ressoude rapidement le régiment durement touché par les évènements.

                    Le lieutenant CHAZARIN, capitaine depuis fin 1960, cède le commandement de sa compagnie le 31 juillet 1961 au Capitaine COLLIGNON.

                    La prestation du Général CHAZARAIN fut illustré par un diaporama bien documenté et fort apprécié par l'auditoire.

Thème de la conférence 3ième Compagnie Crèche de légionnaires Zone des opérations Cadres de la 3ième Cie Pierres précieuses-1960

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                    " Le 31 juillet, je quitte le camp Péhau pour rejoindre la France à bord d’une caravelle d’Air France. A la sortie du camp tous les officiers sont là. Je dois boire le quart de vin rouge traditionnel et je reçois la musette pour la route avec un assortiment de légumes : poireaux, pomme de terre, carottes, …etc.

                        C’est fini « je secoue de mes chaussures la poussière de la terre d’Afrique » et je m’envole vers la mère Patrie. Je laisse derrière moi ma jeunesse, une partie importante de mes illusions. Je laisse surtout deux cent seize camarades morts sur cette terre car ils ont cru à ce qu’ils faisaient et qu’ils avaient le respect de la mission reçue et du drapeau du régiment qui porte la devise de la légion Etrangère « Honneur Fidélité ».

                        Le 2ème REP poursuivra sa route et il est toujours aujourd’hui un des fers de lance de l’Armée française.

                        Une nouvelle vie commence pour moi qui ne pourra jamais me faire oublier l’ancienne, mais comme l’a dit Kipling « ceci est une autre histoire ».

                        L'amphithéâtre de l'ancien collège de Montauban, comprenant beaucoup d'anciens militaires  de nombreux Pieds-noirs, conquis par la modestie et le vécu du lieutenant CHAZARAIN, et après les félicitations motivées de la Présidente de l'Académie, applaudit vivement et longuement le conférencier.